EAA Edmund A. Aunger
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LA SUPPRESSION DU BILINGUISME OFFICIEL EN ALBERTA ET SON IMPACT SUR LA MINORITÉ FRANCOPHONE

Edmund A. Aunger

 

Notes préparées pour un témoignage devant la Cour provinciale de l’Alberta

 dans la cause Sa Majesté la Reine c. Gilles Caron

Edmonton (Alberta), le 6 mars 2006


J’ai accepté de témoigner comme expert dans cette action à la demande de GILLES CARON.  Dans mon témoignage, je décrirai brièvement les dispositions constitutionnelles adoptées par le Parlement canadien à partir de 1870 pour garantir certains droits linguistiques dans l’Ouest canadien ; les tentatives subséquentes des gouvernements des Territoires du Nord-Ouest et de l’Alberta pour supprimer ces garanties ; et le non-respect systématique de ces mêmes droits linguistiques par le gouvernement de l’Alberta.  J’expliquerai également l’impact sur la minorité francophone de cette dérogation aux droits.  Je joins deux publications qui présentent un résumé plus détaillé de la suppression des droits linguistiques.  L’annexe B comprend un article sur le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest et sa politique linguistique : « Justifying the End of Official Bilingualism : Canada’s North-West Assembly and the Dual-Language Question, 1889-1892 », Canadian Journal of Political Science 34(3), 2001, pp. 451-486.  L’annexe C comprend mon article sur les dispositions législatives en matière de langue adoptées par le gouvernement de l’Alberta : « Legislating Language Use in Alberta : A Century of Incidental Provisions for a Fundamental Matter », Alberta Law Review 42(2), 2004, pp. 463-497.

 

A. Droits linguistiques dans les Territoires du Nord-Ouest et en Alberta

3.                  En 1869, au moment où le Canada préparait l’annexion de la Terre de Rupert (qui renfermait la future province de l’Alberta), le Conseil d’Assiniboia, le seul gouvernement civil dans ces territoires, comptait déjà deux langues officielles, l’anglais et le français.  Ce Conseil promulguait ses lois et règlements et offrait ses principaux services dans ces deux langues.  La Cour générale et les quatre Cours de district utilisaient également l’anglais et le français.

Ainsi, en 1852, quand le Conseil a adopté sa première consolidation de lois révisées, il en a fait la promulgation en anglais et en français (« Lois passées par le Gouverneur et le Conseil d’Assiniboia, le 13 juillet 1852 », reprinted in Edmund H. Oliver, The Canadian North-West: Its Early Development and Legislative Records. vol. 2.  Ottawa: Government Printing Bureau, 1915, pp. 1325-1332).  Plus tard, en 1863, quand il a adopté une deuxième consolidation, il en a encore fait la promulgation dans les deux langues (« Lois passées par le Gouverneur et le Conseil d’Assiniboia, le 13 avril 1862 », reprinted in Edmund H. Oliver, The Canadian North-West: Its Early Development and Legislative Records. vol. 2.  Ottawa: Government Printing Bureau, 1915, pp. 1332-1348).

Le bilinguisme judiciaire s’est régularisé à partir de 1849 quand le Conseil d’Assiniboia, en réaction aux émeutes entraînées par l’affaire Sayer, s’est résolu à utiliser le français devant la Cour générale et à recommander la nomination de francophones à ses rangs.  Lors d’une réunion d’urgence, tenue le 31 mai 1849, le Conseil a décidé « that Mr. [Recorder] Thom having, at the commencement of the proceedings, expressed his willingness, in future, to address the Court in both languages, in all cases involving either [French] Canadian or Halfbreed interests, such a line of procedure should be hereafter adopted » (« Minutes of a meeting of the Governor and Council of Assiniboia, held at the Court-house on the thirty-first day of May, one thousand eight hundred and forty-nine », reprinted in Edmund H. Oliver, The Canadian North-West: Its Early Development and Legislative Records. vol. 1.  Ottawa: Government Printing Bureau, 1914, pp. 351-353.)  La mise en place subséquente de procédures bilingues est évidente dans les dossiers administratifs de la Cour générale : ils comprennent les listes de jurés anglophones et de jurés francophones, les formulaires de sommation à comparaître en versions anglaise et française, et les détails à l’égard de la tenue des procès et de la composition de leurs jurys, soit de langue anglaise, française ou mixte (District of Assiniboia Sheriff’s Book 1863-1871, Provincial Archives of Manitoba, File MG2 B4-2).

4.         Le 25 janvier 1870, une convention composée de 20 francophones et 20 anglophones élus par les habitants du District d’Assiniboia, s’est réunie pour établir les conditions d’admission de la Terre de Rupert à la fédération canadienne.  Parmi ses demandes, elle revendiquait la reconnaissance de l’anglais et du français comme langues de la législature, des tribunaux, des documents publics et des actes législatifs.  Ainsi, le 1 février 1870, elle a adopté la résolution suivante : « That the English and French languages be common in the Legislature and Courts and that all public documents and acts of the Legislature be published in both languages » (W. L. Morton, Alexander Begg’s Red River Journal and Other Papers Relative to the Red River Resistance of 1869-1870, Toronto : The Champlain Society, 1956, p. 293).  Donald A. Smith, envoyé spécial du Gouvernement du Canada, a déclaré, le 7 février 1870, que le Canada reconnaîtrait ces droits.

En avril 1870, le premier ministre du Canada John A. Macdonald, accompagné de son principal lieutenant George-Étienne Cartier, a négocié une entente avec trois délégués représentant la population de la Terre de Rupert : John Black, président de la convention et juge en chef de la Cour générale, Alfred H. Scott, membre de la convention, et Noël-Joseph Ritchot, curé de St-Norbert.  Macdonald a consenti largement aux conditions posées et, peu après, a présenté un projet de loi à cet effet à la Chambre des communes.  Le 12 mai 1870, le gouverneur général a sanctionné l’Acte du Manitoba, 1870, aujourd’hui intitulé la Loi de 1870 sur le Manitoba.

L’article 23 de cette loi dispose que : « Either the English or the French language may be used by any person in the debates of the Houses of the Legislature, and both those languages shall be used in the respective Records and Journals of those Houses; and either of those languages may be used by any person, or in any Pleading or Process, in or issuing from any Court of Canada established under the British North America Act, 1867, or in or from all or any of the Courts of the Province.  The Acts of the Legislature shall be printed and published in both those languages » (An Act to amend and continue the Act 32 and 33 Victoria, chapter 3; and to establish and provide for the Government of the Province of Manitoba, 1870, S.C. 1870, c. 3, s. 23).

Le 24 juin 1870, l’Assemblée législative d’Assiniboia, au nom des habitants de l’ancienne Terre de Rupert, a voté une résolution acceptant l’Acte du Manitoba et l’annexion au Canada (Sessional Journal of the Legislative Assembly of Assinboia 1870, Provincial Archives of Manitoba, File MG3 A1 15).

5.         L’Acte du Manitoba a instauré une nouvelle constitution politique dans la Province du Manitoba, de même que dans les autres régions de l’ancienne Terre de Rupert, maintenant dénommée les Territoires du Nord-Ouest.  Il a doté le Manitoba et le Nord-Ouest d’un seul et même lieutenant-gouverneur et, par conséquent, de plusieurs institutions communes.  Le conseil législatif du Nord-Ouest, par exemple, se composait surtout de députés tirés de l’Assemblée législative du Manitoba ; et la cour suprême du Nord-Ouest consistait d’abord en la Cour générale d’Assiniboia, et deux ans plus tard en la Cour du banc de la Reine du Manitoba.  Ainsi, les Territoires du Nord-Ouest bénéficiaient d’un régime bilingue.  Son conseil législatif, par exemple, suivait le modèle manitobain et publiait ses lois et ordonnances dans les deux langues officielles en colonnes parallèles.  (Voir, à titre d’exemple, la Poison Control Act, 1871, Saskatchewan Archives Board, File NWT II.3.)

6.         L’Acte des territoires du Nord-Ouest, 1875, promulgué en 1876, prévoyait une administration séparée pour le Nord-Ouest, caractérisée par un lieutenant-gouverneur distinct et une nouvelle capitale.  La première version de cet acte constitutionnel ne comprenait aucune disposition en matière de langues, mais le Parlement canadien, sur proposition de Marc Girard, ancien premier ministre du Manitoba et ancien conseiller du Nord-Ouest, n’a pas tardé à légiférer pour remédier à cette lacune : « Either the English or the French language may be used by any person in the debates of the said Council, and in the proceedings before the Courts, and both those languages shall be used in the records and journals of the said Council, and the ordinances of the said Council shall be printed in both those languages  »  (North-West Territories Act, S.C. 1875, c. 49, as amended by S.C. 1877, c. 7, s. 11).

Le Parlement canadien a modifié cette disposition en 1880 pour tenir compte de l’évolution des institutions législatives, et encore en 1891 pour permettre à l’Assemblée législative de réglementer ses délibérations.  En 1905, cette dernière version, maintenant l’article 110, est entrée en vigueur dans les nouvelles provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan : « Either the English or the French language may be used by any person in the debates of the Legislative Assembly of the Territories and in the proceedings before the courts; and both those languages shall be used in the records and journals of such Assembly; and all ordinances made under this Act shall be printed in both those languages : Provided, however, that after the next general election of the Legislative Assembly, such Assembly may, by ordinance or otherwise, regulate its proceedings, and the manner of recording and publishing the same; and the regulations so made shall be embodied in a proclamation which shall be forthwith made and published by the Lieutenant Governor in conformity with the law, and thereafter shall have full force and effect  » (North-West Territories Act, R.S.C. 1886, c. 50, s. 110, as amended by S.C. 1891, c. 22, s. 18).

 

B. Tentatives de suppression des droits linguistiques

 

7.         Le 28 octobre 1889, à l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest, le député Hugh Cayley a proposé une résolution demandant au Gouvernement du Canada de supprimer l’article 110 de l’Acte des territoires du Nord-Ouest.  L’Assemblé l’a adoptée le jour même par 17 contre 2.  En guise de justification, les députés prétendaient que les services en français étaient trop dispendieux et peu nécessaires.  Toutefois, ils insistaient également sur l’importance de cette suppression pour réaliser leur but avoué, la construction d’un pays composé d’une seule langue, la langue anglaise, et d’une seule nationalité, la nationalité britannique.  Dans son journal, le Calgary Daily Herald, Cayley a affirmé « the absolute necessity of securing for the English language in Canada that supremacy which British arms, British blood, British courage, British ideas, British institutions may fairly claim, at the close of this nineteenth century in a country over which the British flag has waved for a century and a quarter » (« The Commons Debate », Calgary Daily Herald, 24 February 1890).

 

8.         Trois mois plus tard, dans la Chambre des communes, le député D’Alton McCarthy a proposé l’abrogation de l’article 110, citant comme but éventuel « to create and build up in this country one race with one national life, and with a language common to us all » (Canada, House of Commons, Debates, 22 January 1890, col. 51).  Sa motion a été défaite en deuxième lecture.

 

9.         Le 22 juin 1988, à l’Assemblée législative de l’Alberta, le procureur général, James Horsman, a présenté le projet de loi 60 dans le but d’annuler l’article 110 : « L’article 110 de la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, chapitre 50 des lois révisées du Canada, 1886, en sa version du 1er septembre 1905, ne s’applique pas à l’Alberta pour ce qui est des matières relevant de la compétence législative de celle-ci » (Loi linguistique, S.A. 1988, c. L-7.5, art. 7).  Horsman a expliqué la raison d’être de son projet ainsi : « Mr. Speaker, we are dealing with the reality of the fact that the Mercure decision has said that an Act passed in 1886 – which had never been used in this province, never been implemented, had fallen into complete disuse in the Northwest Territories prior to Alberta becoming a province in 1905 – is still the law because of a technicality…. We have now been told by the Supreme Court of Canada how we must proceed in order to change that antiquated, unused piece of legislation which was a hangover from 1886 » (Alberta, Legislative Assembly of Alberta, Alberta Hansard, 102, 30 June 1988, p. 2171).  L’Assemblée s’est pressée à adopter le projet et le lieutenant-gouverneur l’a sanctionné le 6 juillet 1988.

 

 

C. Non-respect des droits linguistiques en Alberta

 

10.       L’usage de la langue française dans les débats de l’Assemblée législative.  Depuis 1906, l’Assemblée a rarement supporté l’usage du français et a même harcelé les députés qui osaient s’exprimer dans cette langue.  (Voir, à titre d’exemple, à l’Annexe C : Edmund A. Aunger, « Legislating Language Use in Alberta : A Century of Incidental Provisions for a Fundamental Matter », Alberta Law Review 42(2), 2004, pp. 471-472.)  En 1987, quand le député Léo Piquette s’est levé pour prononcer quelques mots en français, le président de l’Assemblée a rétorqué, avec une ironie inconsciente : « En anglais s’il vous plaît…. The Chair directs that the questions will be in English or the member will forfeit his position » (Alberta, Legislative Assembly, Alberta Hansard, 32, 7 April 1987, p. 631).  Piquette a contesté cette décision et, pour cela, le Standing Committee on Privileges and Elections, sur motion du vice-premier ministre, David Russell, l’a sommé à s’excuser; il devait « unconditionnally apologize to the Assembly » (Alberta, Legislative Assembly, Standing Committee on Privileges and Elections, Standing Orders and Printing, Minutes, 25 June 1987, p. 212).  Pour éviter que cette situation ne se reproduise, l’Assemblée a modifié son règlement permanent pour affirmer que « the working language of the Assembly, its committees, and any official publications recording its proceedings shall be in English » (Alberta, Legislative Assembly, Alberta Hansard, 99, 27 November 1987, p. 2093).  Toutefois, la Loi linguistique, adoptée l’année suivante comme suite à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mercure, dispose que « Les membres de l’Assemblée peuvent employer le français ou l’anglais dans l’Assemblée » (Loi linguistique, S.A. 1988, c. L-7.5, art. 5.1).

 

11.       L’usage de la langue française dans les procédures devant les cours de justice.  Comme à l’assemblée législative, les tribunaux albertains, depuis 1905, ont habituellement refusé l’usage du français dans leurs procédures.  Ce refus s’appuyait pendant longtemps sur la coutume et la législation, dont, par exemple, les Rules of Court, qui ne reconnaissaient que l’anglais comme la langue de plaidoyers et d’interrogatoires.  Toutefois, l’article 4 de la Loi linguistique, adoptée en 1988, permet maintenant l’usage du français « dans les communications verbales dans les procédures » devant les tribunaux provinciaux.  Malheureusement, même ce droit limité est souvent enfreint;  ce non-respect est attribuable, semble-t-il, à un manque de sensibilisation et de ressources.  Les commentaires de M. le Juge McIntosh en 1996 en sont très révélateurs : « With respect, you can do all the talking in French that you like but in Alberta, with respect, Provincial matters are conducted in English, so if you’re going to communicate with me you’ll have to do it in English, or you will have to have somebody here that can assist you in English.  But this trial is conducted in English.  That’s the law in Alberta, for Provincial Statutes » (R. v. Desgagné, 13 June 1996, Peace River A 06115443 T at 3, Alta. Prov. Ct, cited in Canada, Department of Justice and Department of Canadian Heritage, Annotated Language Laws of Canada, 2d ed., 2000, p. 208).

 

12.       L’emploi de la langue française pour la rédaction des procès-verbaux et journaux.  Les procès-verbaux de l’assemblée législative ou Votes and Proceedings of the Legislative Assembly of the Province of Alberta sont rédigés uniquement en anglais, et cela, depuis leur parution en 1906.  Les Journals of the Legislative Assembly of the Province of Alberta, publications annuelles constituées des procès-verbaux quotidiens, sont également en anglais.  Les recueils de débats, les transcriptions intégrales des délibérations, également intitulés Alberta Hansard et publiés seulement depuis 1971, sont imprimés dans la langue parlée à la législature, c’est-à-dire, à très peu d’exceptions, en anglais.

 

13.       L’emploi de la langue française pour l’impression des lois.  De toute évidence, depuis 1906, l’Assemblée législative a imprimé les lois albertaines uniquement en anglais, à l’exception de la Loi linguistique.  Assez paradoxalement, elle a dû imprimer la Loi linguistique en anglais et en français, tel qu’il a été exigé par l’article 110, afin d’assurer que l’abrogation de ce même article 110 se faisait en bonne et due forme.  En 1909, le ministre Prosper Edmond Lessard, nouvellement élu à l’Assemblée législative, a prétendu que le gouvernement provincial avait traduit ses lois en français; par la suite, Lessard, lui-même, en a imprimé quelques-unes dans les pages de son journal, Le Courrier de l’Ouest, publié à Edmonton.  (Voir, à titre d’exemple : « Acte des liqueurs, » Le Courrier de l’Ouest (Edmonton), le 20 mai 1915, p. 6).

 

 

D. Impact sur la minorité francophone de la dérogation des droits linguistiques

 

14.       Le statut d’une langue constitue un élément clé dans la force d’attraction qu’elle exerce auprès de ses locuteurs et donc dans sa possibilité de survie sur un territoire donné.  Sur une échelle assez large de possibilités, ce statut peut varier de « langue promue », quand le gouvernement utilise la langue pour les affaires publiques et encourage son usage dans la société, à « langue interdite », quand le gouvernement exclut la langue des affaires publiques et interdit son usage dans la société.  La promotion de la langue minoritaire contribue à la vitalité de la minorité linguistique ; l’interdiction de la langue minoritaire contribue à la disparition de la minorité linguistique.

 

Par l’adoption de l’article 110, le Parlement canadien reconnaissait le français comme langue officielle et donc d’usage pour les affaires publiques, et cela, afin de maintenir les droits déjà existants et d’assurer la vitalité déjà forte de la minorité francophone.  Ainsi, de jure, le français devenait une langue promue et ce statut favorisait la vitalité de la minorité francophone.  Par la dérogation de l’article 110, les gouvernements territorial et albertain excluaient le français de tout usage officiel et donc des affaires publiques, et cela, afin de supprimer la langue française et d’assimiler la minorité francophone.  Cette exclusion s’accompagnait d’autres mesures dont le but était la prohibition de l’usage du français dans la société.  Ainsi, de facto, le français devenait une langue interdite et ce statut conduisait à la disparition de la minorité francophone.


15.       Le refus d’imprimer les lois en français a nui à l’usage du français dans la province et a contribué ainsi à l’assimilation.  Les lois provinciales ordonnent une partie considérable de la vie quotidienne, et pour ce faire, elles comportaient souvent, par le passé, toutes les formules et formulaires nécessaires.  De nos jours, les lois tendent à céder ces formules à des instruments subordonnés, dont les règlements, rendant ainsi le lien entre la loi et son application moins visible, bien que tout aussi réel.  Ainsi, pour autant que les lois sont imprimées uniquement en anglais, les divers formulaires – comprenant des avis, des contrats, des notices, des affiches, des annonces, des appels d’offre, des proclamations, des citations, des injonctions, des consignes, des contraventions, des registres – sont également en anglais.  Par conséquent, le gouvernement réussit à imposer la langue anglaise dans de nombreuses facettes de la vie de tous les jours. 
En 1919, l’Assemblée législative a adopté une disposition législative qui a formalisé ce fait : « Unless otherwise provided where any Act requires public records to be kept or any written process to be had or taken it shall be interpreted to mean that such records or such process shall be in the English language » (Interpretation Act, S.A. 1906, c. 3, as amended by S.A. 1919, c. 4, s. 30).  Cette disposition, intitulée diversement « English as official language » et « Public records » a été abrogée en 1980.

 

16.       Le refus de permettre l’utilisation du français à l’Assemblée législative et dans les tribunaux a nui à l’usage du français dans la province et a contribué à l’assimilation de la minorité francophone.  L’Assemblée législative, comme les tribunaux, représente un modèle normatif et influe les comportements jugés admissibles dans notre société.  Quand les instances politiques empêchent l’usage d’une langue, elles incitent l’ensemble de la population à exhiber les mêmes habitudes d’intolérance, de harcèlement et d’incivilité.  Ainsi, la langue minoritaire est chassée de la place publique, et la langue majoritaire y établit son hégémonie.  En 1945, alors que l’Association canadienne-française de l’Alberta menait une campagne de souscriptions pour financer un poste de radio française, l’Assemblée législative a adopté une résolution s’opposant à tout projet de radio non anglaise.  Les députés et les journalistes ont dénoncé la résistance des francophones à l’assimilation, la traitant de fractionnelle et provocatrice.

 

17.       Le refus de respecter le statut officiel de la langue française et de s’en servir pour les affaires publiques a nui à l’usage du français dans la province et a contribué à l’assimilation.  Pendant de nombreuses années, le gouvernement de l’Alberta a empêché l’emploi du français dans les différentes institutions publiques de la province, minant ainsi la complétude institutionnelle de la minorité francophone.  Cette complétude, mesurée par la variété d’institutions utilisant la langue minoritaire, constitue un élément vital pour la rétention de la langue.  Elle est faible surtout dans les domaines de compétence provinciale, dont non seulement les assemblées délibérantes et les cours de justice, mais également les écoles et les hôpitaux.  Entre 1892 et 1964, par exemple, les lois scolaires, en interdisant l’enseignement dans les langues minoritaires, ont réussi à faire de l’anglais la langue universelle de la province.  De nos jours, le gouvernement appuie activement les écoles minoritaires, mais cette nouvelle tolérance arrive trop tard pour sauver des générations déjà perdues à l’assimilation.