« Nous devons ramer dans la même direction »

C'est sous le thème « Le Québec dans la francophonie canadienne : Le défi de vivre ensemble » que Benoît Pelletier a donné le coup d'envoi à la Journée du savoir de l'Acfas-Alberta, le 7 avril dernier, alors qu'il a offert la conférence d'ouverture devant près d'une quarantaine de personnes réunies au Grand Salon du Pavillon Lacerte pour l'occasion.

Étienne Alary - 19 avril 2016

« Chers amis! J'ai une relation avec le Campus Saint-Jean qui ne date pas d'hier et j'ai une relation avec l'Alberta ne date pas d'hier non plus! Et je crois que cette relation particulière me permet de dire chers amis », a lancé d'entrée de jeu l'avocat de formation et ancien ministre provincial au Québec.

Comme mise en contexte, Benoît Pelletier a d'abord abordé la question des droits linguistiques constitutionnels qui existent en ce moment. « Pour plusieurs d'entre vous, ce sera un rappel puisque ce sont des choses que vous connaissez très bien », lance-t-il.

Il a notamment parlé de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867; un article qui prévoit un bilinguisme au fédéral et au Québec en ce qui concerne la langue des lois, la langue des procédures judiciaires et la langue des débats parlementaires. « À l'époque, on n'a pas imposé les mêmes contraintes constitutionnelles ni à l'Ontario, ni au Nouveau-Brunswick, ni à la Nouvelle-Écosse… Alors, lorsqu'on parle de l'article 133, pour plusieurs personnes, on parle donc de bilinguisme à Ottawa et une forme de bilinguisme au Québec », présente Benoît Pelletier.

Ce dernier a aussi parlé de l'adoption, en 1982, des articles 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés « Nous constatons que ces articles reprennent en partie les dispositions de l'article 133 de la Loi de 1867, du moins ce qui touche le fédéral. Ils vont même plus loin puisque la Charte parle aussi de la communication entre l'état et les citoyens », indique M. Pelletier « On voit aussi que le Nouveau-Brunswick s'est soumis au bilinguisme officiel. D'ailleurs, nous pouvons dire en ce moment que le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement et constitutionnellement bilingue au Canada », ajoute-t-il.

En 1993, cette province de l'Atlantique a aussi demandé une modification constitutionnelle qui prévoit l'égalité des communautés de langues officielles.

Selon Benoit Pelletier, en matière linguistique, on est en présence d'une asymétrie au niveau du fédéralisme. « On remarque également que l'égalité des langues officielles, outre le cas du Nouveau-Brunswick, vaut pour l'ordre fédéral de gouvernement. On constate par ailleurs, a priori, que c'est une égalité théorique. On statue que les deux langues sont égales en ce qui concerne leur usage et leur fondement juridique, mais on sait très bien qu'en pratique, il y a une inégalité », mentionne Benoît Pelletier.

« Pour chercher à atteindre une égalité réelle, il faut qu'il y ait des mesures pour soutenir la langue qui est fragilisée, la langue qui est menacée, la langue qui est, en pratique, est moins utilisée que l'autre qui est le français », enchaîne l'avocat de formation et professeur à l'Université d'Ottawa.

Selon Benoît Pelletier, la Cour suprême du Canada a un rôle important à jouer dans ce dossier. « Lorsqu'on lit les jugements de la Cour suprême du Canada, qui parlent souvent de l'importante que l'égalité ne soit pas que théorique, cela veut dire qu'il faut qu'il y ait des mesures pour venir appuyer de façon très spéciale la langue française », mentionne-t-il.

Toutefois, ce dernier rappelle que la Cour suprême a une très importante marge de manœuvre, puisqu'il s'agit de droits linguistiques qui résultent de compromis politiques. « La Cour suprême a choisi jusqu'à maintenant d'interpréter les droits linguistiques d'une façon uniforme à toutes les provinces. C'est elle aussi qui décide de la mise en œuvre des droits linguistiques. (…) Bien entendu, la Cour suprême a une très importante marge de manœuvre dans le choix de ses règles d'interprétation. Elle a notamment posé le principe d'une interprétation large des droits linguistiques dans l'Arrêt Beaulac », rappelle l'avocat.

La Cour suprême elle-même décide des principes d'interprétations qui lui seront utiles pour rendre son jugement. « Les juges de la Cour suprême eux-mêmes interprètent la constitution. L'Arrêt Caron en est la preuve alors que six juges sont d'un avis et trois autres ne partagent pas cet avis. Cela dépend de la philosophie dominante du moment », note-t-il.

Le cas du Québec

Pour Benoît Pelletier, l'interprétation large en matière de droits linguistiques ne devrait pas s'appliquer au Québec. « Je crois que l'on doit avoir une interprétation beaucoup plus nuancée des obligations qui s'imposent au Québec en matière constitutionnelle, parce que la langue de la majorité au Québec est en même temps la langue d'une minorité, celle que nous formons au Canada », évoque-t-il.

En effet, au Québec aussi, il s'agit d'une langue qui est menacée, qui est fragilisée. « À mon avis, la Cour suprême devrait davantage tenir compte du contexte propre au Québec dans non seulement l'application de droits linguistiques, mais également dans l'interprétation de ceux-ci. Ainsi, les droits linguistiques pourraient être interprétés plus largement par la Cour suprême. L'asymétrie, donc je vous ai parlé, je la souhaiterais également dans l'interprétation de la Cour suprême du Canada non seulement dans la mise en œuvre des droits linguistiques, mais aussi dans leur interprétation. J'aimerais voir la Cour suprême interpréter les droits linguistiques plus libéralement dans les provinces autres que le Québec, qu'au Québec », explique M. Pelletier, rappelant le mandat particulier qu'a la Belle province de soutenir la langue française.

Ultimement, « tous les francophones ont ceci en commun : ils partagent une langue qui est menacée, qui est fragilisée. On est tous dans le même bateau, même lorsqu'on habite au Québec. Puisque nous, comme francophones, nous sommes dans le même bateau, je crois que nous devons ramer dans la même direction.

Pour ramer dans la même direction, il faut dialoguer davantage et avoir des projets communs. « On doit éviter les confrontations juridiques comme celles qu'impose l'interprétation uniforme de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés », déclare M. Pelletier.

Du juridique au politique…

Comme le fait remarquer Benoît Pelletier, si le Canada a deux langues officielles aujourd'hui, c'est qu'à une époque, on a reconnu qu'il y avait deux grandes sociétés d'accueil, l'une francophone et l'autre anglophone. « Vous ne pouvez pas avoir de dualité si les francophones sont divisés. La dualité canadienne n'est possible que dans la mesure où il y a une unité des francophones et que les francophones font un », indique M. Pelletier.

En 2004, Benoît Pelletier, alors ministre, fait un discours sous le thème du Québec qui est de retour dans le giron de la francophonie canadienne, suivi de l'adoption, par le gouvernement d'une Québec d'une politique en 2006. « Ça, politiquement parlant, ce n'était pas évident au Québec. Beaucoup de Québécois estiment qu'il est inutile de maintenir des relations serrées avec le reste de la francophonie canadienne. Moi, j'estime au contraire que tous les efforts doivent être déployés afin de raffermir ces relations, ce qui n'enlève absolument rien au fait que les Québécois forment une nation », déclare l'ancien ministre.

Benoît Pelletier est catégorique : le Québec doit accepter de s'inclure dans le concept de la francophonie canadienne. « Il y a absolument aucune raison pour laquelle le Québec s'inclurait dans le concept de la francophonie international, mais pas dans celui de la francophonie canadienne. C'est complètement contradictoire. Comment pouvez-vous dire, je fais de la francophonie internationale, mais pas celle de la francophonie canadienne. C'est un non-sens! », soutient-il.

C'est donc tout à fait naturel que le Québec et que les Québécois réintègrent cette grande famille qu'est celle de la francophonie canadienne. « Pour moi, la francophonie canadienne doit se définir de façon accueillante afin d'ouvrir toutes grandes ses portes à tous ceux qui venant d'autres pays veulent contribuer à l'essor de la langue française sur ce continent. »

« Quand on aime une langue, on ne veut pas la limiter au Québec. On veut qu'elle rayonne, ce qui nous amène à regarder ce qui se passe ailleurs au Canada. Et quand on aime une langue, on veut qu'un maximum de gens la parle et contribue à son essor. L'avenir de la langue française et de la francophonie au Canada va passer justement par notre capacité d'être cette grande société d'accueil. Quand je parle de nous, pour moi, c'est un nous extrêmement inclusif », énonce Benoît Pelletier.

Ce dernier dit souhaiter que la langue française se déploie dans tout le Canada. « Pour moi, la magie de la langue française, c'est de pouvoir être véhiculée par des gens qui, quel que soit leur race et leur origine, sentiront eux aussi quelque part que cette langue-là les rejoint », conclut-il.