La toponymie française de l'Ouest canadien et Alexander Mackenzie

Qui a dit que la toponymie pouvait être un sujet ennuyeux? Certainement pas les personnes qui ont assisté à la captivante conférence du professeur agrégé Carol Léonard, dans le cadre des Conversations de la recherche, conférence tenue à la fin avril.

Étienne Alary - 8 juin 2016

C'est sous le thème Comment, vingt ans avant la fameuse expédition de Lewis et Clark, l'océan Pacifique fut atteint par voie de terre… et en français que s'est déroulé cette conférence.

Véritable passionné, Carol Léonard souligne que la toponymie est un carrefour de trois sciences : la géographie, l'histoire et la linguistique. « La toponymie a deux fonctions essentielles, soit l'identification des lieux et d'identifier l'information dont le nom est porteur », mentionne celui qui dit avoir passé un nombre incalculable d'heures dans les archives, livres et anciennes cartes, à la recherche de noms français. « L'Alberta, la Saskatchewan et le Manitoba, c'est mon terrain de jeu », s'exclame-t-il.

Avec ces recherches, le professeur Léonard aura réussi à segmenter certaines périodes historiques de l'histoire de l'Ouest canadien : Régime français (1699-1763), Voyageurs (1767-1829), Métis (1830-1885), Missionnaires (1845-1915), Colonisation (1886-1929), Intervalle de crises (1930-1945) et Période contemporaine (1969-2005). « Lors de la période entre 1886 à 1929, on a vu un véritable raz-de-marée de noms apparaître et malheureusement, ces noms n'avaient aucun lien avec le territoire. À cette époque, on en est même venu à superposer des noms lieux sur ceux qui étaient déjà en place, et ce, sans rapport avec le territoire », constate-t-il.

Déjà, quelque 6000 lieux d'origine française ont été répertoriés par le professeur Léonard. « Et je n'ai pas encore fini la recherche encore au niveau du Manitoba et de l'Alberta », précise celui qui estime qu'il pourrait y en avoir jusqu'à 10 000 pour l'ensemble de l'Ouest canadien.

L'épopée d'Alexander Mackenzie

Avec cette entrée en matière, Carol Léonard a par la suite démontré comment la langue française a joué un rôle déterminant au cours des expéditions de découverte, notamment celles menées par Alexander Mackenzie, qui, rappelle-t-il est arrivé à Montréal en 1778 alors qu'il avait 14 ans.

En 1779, à 15 ans, Alexander Mackenzie joint la Finlay and Gregory, poste qu'il occupera pendant cinq ans dans les bureaux de Montréal. De 1785 à 1787, Mackenzie se voit assigner le district d'English River, avec quartier général à l'Île-à-la-Crosse (Saskatchewan). En 1787, il se voit associé à Peter Pond dans la région de l'Athabasca. En 1788, il succède à Pond à l'Athabasca et prend ce département en charge.

Cette même année, il demande à son cousin Roderick de construire le premier fort Chipewyan, sur la rive sud du lac Athabasca. En 1789, le 3 juin, c'est le début du premier voyage vers le Pacifique avec un retour le 12 septembre.

Comme l'explique Carol Léonard, déjà à cette époque, il y avait préséance du français, et ce, pour plusieurs motifs; le corpus lexical essentiellement français de la traite des fourrures, la compétence acquise par les francophones tant au chapitre de la géographie, de la navigation que du commerce avec les populations autochtones. Il faut ajouter à ces conditions une disposition chez plusieurs Britanniques à acquérir une maîtrise de la langue française particulièrement s'ils caressaient l'ambition de se voir confier des postes de commandement et la supervision d'un personnel en majorité francophone.

Le professeur Léonard fait remarquer qu'il y avait une prépondérance des francophones dans les différents postes de traite et au sein des équipages des convois de transport. « On devait à l'époque parler la langue du moteur, ceux qui ramaient. Ces derniers avaient besoin de s'orienter, donc ils donnaient des noms de lieux français à leurs repères. À cette époque, ce sont les anglophones qui se sont bilinguisés », évoque Carol Léonard. En somme le français représentait, à plus d'un titre la langue véhiculaire de la traite.

À cela s'ajoute le fait qu'en 1793, les membres de l'expédition étaient Alexander Mackay, Joseph Landry, Charles Ducette, François Beaulieux, Baptist Bisson, François Courtois et Jacques Beauchamp. « Alexander Mackenzie n'a pas laissé de traces d'un voyage qu'il aurait en français, mais quand on regarde comment il était entouré, on ne verrait pas pourquoi il ne l'aurait pas fait dans la langue de Molière », suggère Carol Léonard.

Aucun motif ne suggère, selon lui, le fait qu'Alexander Mackenzie ait changé les usages et la langue d'usage, bien au contraire. Les difficultés et les dangers inhérents aux expéditions qu'il a entrepris dictaient qu'il maintienne les conditions optimales et familières les plus essentielles à la réussite de ses entreprises de découverte et d'atteinte de l'océan Pacifique.