SC PO
101 Introduction au gouvernement
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NOTE:
Il s’agit d’extraits de la Léviathan par Thomas Hobbes, traduction de Phillipe
Folliot (Chicoutimi : Classiques des sciences sociale, 2002). http://classiques.uqac.ca/classiques/hobbes_thomas/hobbes.html Première partie : DE L’HOMME La nature (l'art par lequel Dieu a fait le monde et
le gouverne) est si bien imitée par l’art de l'homme, en ceci comme en de nombreuses autres choses, que
cet art peut fabriquer un animal
artificiel. Car, étant donné que la vie n'est rien d'autre qu'un mouvement de
membres, dont le commencement est en quelque partie principale intérieure,
pourquoi ne pourrions-nous pas dire que tous les automates (des engins qui se meuvent eux-mêmes, par des ressorts
et des roues, comme une montre) ont une vie artificielle? Car qu'est-ce que
le coeur, sinon un ressort, les nerfs, sinon de nombreux fils,
et les jointures, sinon autant de
nombreuses roues qui donnent du
mouvement au corps entier, comme cela a été voulu par l'artisan. L'art va
encore plus loin, imitant cet ouvrage raisonnable et le plus excellent de la
Nature, l'homme. Car par l'art est
créé ce grand LEVIATHAN appelé RÉPUBLIQUE , ou ÉTAT (en latin, CIVITAS),
qui n'est rien d'autre qu'un homme artificiel, quoique d'une stature et d'une
force supérieures à celles de l'homme naturel, pour la protection et la
défense duquel il a été destiné, et en lequel la souveraineté est une âme
artificielle, en tant qu'elle donne vie et mouvement au corps entier, où les magistrats et les autres officiers (p. 8) affectés au jugement et à l'exécution sont des jointures artificielles, la récompense et la punition (qui, attachées au siège de la souveraineté, meuvent
chaque jointure, chaque membre pour qu'il accomplisse son devoir) sont les nerfs, et [tout] cela s'accomplit
comme dans le corps naturel : la prospérité
et la richesse de tous les membres
particuliers sont la force, le salus populi (la protection du peuple) est sa fonction,
les conseillers, qui lui proposent
toutes les choses qu'il doit connaître, sont la mémoire, l'équité et
les lois sont une raison et une volonté artificielles, la concorde
est la santé, la sédition est la maladie, et la guerre
civile est la mort. En dernier,
les pactes et les conventions, par lesquels les parties
de ce corps politique ont en premier lieu étaient faites, réunies et unifiées,
ressemblent à ce Fiat ou au Faisons l'homme prononcé par Dieu lors
de la création. (p. 9) Les passions qui, de toutes, causent le plus de
différences d'esprit sont essentiellement les désirs plus ou moins importants
de pouvoir, de richesses, de savoir et d'honneur, ces passions pouvant être
toutes ramenées à la première, le désir de pouvoir. Car les richesses, le
savoir et l'honneur ne sont que plusieurs sortes de pouvoir. Par conséquent, un homme qui n'a de passion pour
aucune de ces choses, mais qui est, comme on le dit, indifférent, quand bien
même serait-il bon au point d'être incapable de causer du tort à quelqu'un,
il n'est cependant pas possible qu'il ait, soit une forte imagination, soit
beaucoup de jugement. Car les pensées sont aux désirs comme des éclaireurs et
des espions qui reconnaissent le terrain et trouvent le chemin des choses
désirées, toute la constance et la rapidité du mouvement de l'esprit venant
de là. Car ne pas avoir de désir, c'est être mort. (p. 73) Le plus grand des pouvoirs humains est celui qui est
composé des pouvoirs de la plus grande partie des hommes, unis par consentement
en une seule personne, naturelle ou civile, qui a l'usage de tous leurs
pouvoirs qui dépendent [alors] de sa
volonté, comme est le pouvoir d'une République, ou celui qui dépend des
volontés de chaque particulier, comme est le pouvoir d'une faction ou
de différentes factions liguées. Avoir des serviteurs est donc un pouvoir,
avoir des amis est un pouvoir. Ce sont en effet des forces unies. (p. 83) Si bien qu'en premier, je tiens comme une
inclination générale de tous les hommes un désir permanent et sans
relâche [d'acquérir] pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu'à la
mort. Et la cause de ce désir n'est pas toujours que l'homme espère un
plaisir plus intense que celui qu'il a déjà atteint, ou qu'il ne puisse pas
se contenter d'un pouvoir modéré, mais c'est qu'il ne peut pas assurer le
pouvoir et les moyens de vivre bien qu'il possède à présent sans en acquérir
davantage. Et de là vient que les rois, dont le pouvoir est le plus grand,
dirigent leurs efforts pour le rendre sûr à l'intérieur, par des lois, et à
l'extérieur, par des guerres. Et quand cela est réalisé, un nouveau désir
succède [à l'ancien]; chez certains, désir d'une gloire qui viendrait d'une
nouvelle conquête, chez d'autres, désir de bien-être et de plaisirs sensuels,
chez d'autres [encore] désir d'être admiré, ou d'être flatté pour leur excellence
dans quelque art ou quelle faculté de l'esprit. La compétition pour les richesses, l'honneur, les
postes de commandement, ou pour d'autres pouvoirs, incline à la discorde, à
l'hostilité, et à la guerre, parce que le moyen pour celui qui entre en
compétition d'atteindre ce qu'il désire est de tuer, d'assujettir, de
supplanter, ou de repousser l'autre. En particulier, la compétition pour les
louanges incline à avoir une vénération pour l'antiquité, car les hommes
luttent avec les vivants, non avec les morts, ce qui fait qu'ils attribuent à
ces derniers plus qu'il n'est dû pour pouvoir obscurcir la gloire des
premiers. Le désir de bien-être et de plaisir sensuel dispose
les hommes à obéir à un pouvoir commun, parce que de tels désirs leur font
renoncer à la protection qu'ils pourraient espérer de leurs propres efforts
et de leur propre peine. La crainte de la mort et des blessures les met dans
les mêmes dispositions, et pour la même raison. Au contraire, des hommes
ambitieux, téméraires et non satisfaits de leur condition présente, tout
comme ceux qui aspirent à des postes de commandement militaire, sont inclinés
à entretenir les causes de guerre et fomenter des troubles et des séditions,
car il n'est d'honneur militaire que par la guerre, et d'espoir d'améliorer
un mauvais jeu qu'en battant à nouveau les cartes. (p. 93) Le désir de la connaissance et des arts pacifiques
incline les hommes à obéir à un pouvoir commun, car un tel désir comprend le
désir de loisir, et par conséquent [le désir de bénéficier] de quelque autre
pouvoir que le leur. (p. 94) Et cette crainte des choses invisibles est le germe
naturel de ce que chacun appelle religion pour lui-même, et superstition chez
ceux qui rendent un culte différent du leur et éprouvent une crainte
différente de la leur à l'égard de cette puissance. Et ce germe de religion, ayant été observé par
beaucoup, certains de ceux qui l'ont observé ont été enclins par là à le
nourrir, à l'apprêter, à lui donner forme de lois, et à y ajouter toute
opinion de leur propre invention sur les causes des événements futurs qu'ils
croyaient susceptible de leur permettre au mieux de gouverner les autres et
d'user au mieux pour leur propre compte de leurs pouvoirs. (p. 98) De cette égalité de capacité résulte une égalité d'espoir d'atteindre
nos fins. Et c'est pourquoi si deux hommes désirent la même chose, dont ils
ne peuvent cependant jouir tous les deux, ils deviennent ennemis; et,
pour atteindre leur but (principalement leur propre conservation, et
quelquefois le seul plaisir qu'ils savourent), ils s'efforcent de se détruire
ou de subjuguer l'un l'autre. Et de là vient que, là où un envahisseur n'a
plus à craindre que la puissance individuelle d'un autre homme, si quelqu'un
plante, sème, construit, ou possède un endroit (p. 113) commode, on peut s'attendre à ce que d'autres,
probablement, arrivent, s'étant préparés en unissant leurs forces, pour le
déposséder et le priver, non seulement du fruit de son travail, mais aussi de
sa vie ou de sa liberté. Et l'envahisseur, à son tour, est exposé au même
danger venant d'un autre. De plus, les hommes n'ont aucun plaisir (mais au contraire, beaucoup
de déplaisir) à être ensemble là où n'existe pas de pouvoir capable de
les dominer tous par la peur. Car tout homme escompte que son compagnon
l'estime au (p. 114) niveau où
il se place lui-même, et, au moindre signe de mépris ou de sous-estimation,
il s'efforce, pour autant qu'il l'ose (ce qui est largement suffisant pour
faire que ceux qui n'ont pas de pouvoir commun qui les garde en paix se
détruisent l'un l'autre), d'arracher une plus haute valeur à ceux qui le
méprisent, en leur nuisant, et aux autres, par l'exemple. De sorte que nous
trouvons dans la nature humaine trois principales causes de querelle :
premièrement, la rivalité; deuxièmement, la défiance; et troisièmement la
fierté. La première fait que les hommes attaquent pour le gain, la
seconde pour la sécurité, et la troisième pour la réputation. Dans le premier
cas, ils usent de violence pour se rendre maîtres de la personne d'autres
hommes, femmes, enfants, et du bétail; dans le second cas, pour les défendre;
et dans le troisième cas, pour des bagatelles, comme un mot, un sourire, une
opinion différente, et tout autre signe de sous-estimation, [qui atteint]
soit directement leur personne, soit, indirectement leurs parents, leurs
amis, leur nation, leur profession, ou leur nom. Par là, il est manifeste que pendant le temps où les hommes vivent
sans un pouvoir commun qui les maintienne tous dans la peur, ils sont dans
cette (p. 115) condition qu'on
appelle guerre, et cette guerre est telle qu'elle est celle de tout homme contre
homme. Car la GUERRE ne consiste pas seulement dans la bataille, ou dans
l'acte de se battre, mais dans un espace de temps où la volonté de combattre
est suffisamment connue; et c'est pourquoi, pour la nature de la guerre, il
faut prendre en considération la notion de temps, comme on le fait pour le
temps qu'il fait. Car, tout comme la nature du mauvais temps ne réside pas
dans une ou deux averses, mais dans une tendance au mauvais temps durant de
nombreux jours, la nature de la guerre ne consiste pas en un combat effectif,
mais en une disposition connue au combat, pendant tout le temps où il n'y a
aucune assurance du contraire. Tout autre temps est PAIX. Par conséquent, tout ce qui résulte d'un temps de guerre, où tout
homme est l'ennemi de tout homme, résulte aussi d'un temps où les hommes
vivent sans autre sécurité que celle que leur propre force et leur propre
capacité d'invention leur donneront. Dans un tel état, il n'y a aucune place
pour un activité laborieuse, parce que son fruit est incertain; et par
conséquent aucune culture de la terre, aucune navigation, aucun usage de
marchandises importées par mer, aucune construction convenable, aucun engin
pour déplacer ou soulever des choses telles qu'elles requièrent beaucoup de
force; aucune connaissance de la surface de la terre, aucune mesure du temps;
pas d'arts, pas de lettres, pas de société, et, ce qui le pire de tout, la
crainte permanente, et le danger de mort violente; et la vie de l'homme est
solitaire, indigente, dégoûtante, animale et brève. (p. 116) De cette guerre de tout homme contre tout homme résulte aussi que
rien ne peut être injuste. Les notions de bien et de mal, justice et
injustice, n'ont pas leur place ici. Là où n'existe aucun pouvoir commun, il
n'y a pas de loi. Là où n'existe pas de loi, il n'y a aucune injustice. La
force et la ruse sont en temps de guerre les deux vertus cardinales. La
justice et l'injustice ne sont aucunement des facultés du corps ou de
l'esprit. Si elles l'étaient, elles pourraient se trouver en un homme qui
serait seul dans le monde, aussi bien que ses sensations et ses passions. Ce
sont des qualités relatives aux hommes en société, non dans la solitude. Il
résulte (p. 117) aussi de ce même
état qu'il ne s'y trouve pas de propriété, de domination, de distinction du mien et du tien, mais qu'il n'y a que ce que chaque homme peut obtenir, et
aussi longtemps qu'il peut le conserver. Et en voilà assez pour la malheureux
état où l'homme se trouve placé par simple nature, quoiqu'avec une possibilité
d'en sortir, qui consiste en partie dans les passions, en partie dans sa
raison. Les passions qui inclinent les hommes à la paix sont la crainte de la
mort, le désir des choses nécessaires à une existence confortable, et un
espoir de les obtenir par leur activité. Et la raison suggère les clauses de
paix qui conviennent, sur lesquelles on peut amener les hommes à se mettre
d'accord. Ces clauses sont celles qu'on appelle d'une autre manière les lois
de nature, dont je vais parler plus particulièrement dans les deux chapitres
suivants. (p. 118) Le DROIT DE NATURE, que les auteurs nomment couramment jus naturale, est la liberté que
chaque homme a d'user de son propre pouvoir pour la préservation de sa propre
nature, c'est-à-dire de sa propre vie; et, par conséquent, de faire tout ce
qu'il concevra, selon son jugement et sa raison propres, être le meilleur
moyen pour cela. (p. 119) Une LOI DE NATURE (lex
naturalis) est un précepte, une règle générale, découverte par la raison,
par laquelle il est interdit à un homme de faire ce qui détruit sa vie, ou
lui enlève les moyens de la préserver, et d'omettre ce par quoi il pense
qu'elle peut être le mieux préservée. Car, quoique ceux qui parlent de ce
sujet aient l'habitude de confondre jus
et lex, droit et loi, il faut
cependant les distinguer, parce que le DROIT consiste en la liberté de faire
ou de s'abstenir, alors que la LOI détermine et contraint à l'un des deux. Si
bien que la loi et le droit diffèrent autant que l'obligation et la liberté
qui, pour une seule et même chose, sont incompatibles. Et parce que la condition de l'homme (comme il a été dit au chapitre
précédent) est d'être dans un état de guerre de chacun contre chacun,
situation où chacun est gouverné par sa propre raison, et qu'il n'y a rien
dont il ne puisse faire usage dans ce qui peut l'aider à préserver sa vie
contre ses ennemis, il s'ensuit que, dans un tel état, tout homme a un droit
sur toute chose, même sur le corps d'un autre homme. Et c'est pourquoi, aussi
longtemps que ce droit naturel de tout homme sur toute chose perdure, aucun
homme, si fort et si sage soit-il, ne peut être assuré de vivre le temps que
la nature alloue ordinairement aux hommes. Et par conséquent, c'est un
précepte, une règle générale de la raison, que tout homme doit s'efforcer à la paix, aussi longtemps qu'il a
l'espoir de l'obtenir, et, que, quand il ne parvient pas à l'obtenir, il peut
rechercher et utiliser tous les secours et les avantages de la guerre. La
première partie de cette règle contient la première et fondamentale loi de
nature, qui est de rechercher la paix
et de s'y conformer. La seconde [contient] le résumé du droit de
nature, qui est : par tous les
moyens, nous pouvons nous défendre. (p.
120) De cette fondamentale loi de nature qui ordonne aux hommes de
s'efforcer à la paix, dérive la seconde loi : qu'un homme consente, quand les autres consentent aussi, à se démettre de ce droit sur
toutes choses, aussi longtemps qu'il le jugera nécessaire pour la paix et sa
propre défense; et qu'il se contente d'autant de liberté à l'égard des autres
hommes qu'il en accorderait aux hommes
à son propre égard. Car aussi longtemps que chaque homme détient
ce droit de faire tout ce qui lui plaît, tous les hommes sont dans l'état de
guerre. Mais si les autres hommes ne veulent pas se démettre de leur droit
aussi bien que lui, alors il n'y a aucune raison pour quelqu'un de se
dépouiller du sien, car ce serait s'exposer à être une proie, ce à quoi
aucun homme n'est tenu, plutôt que de se disposer à la paix. C'est cette loi
de l’Évangile : tout ce que
vous demandez aux autres de vous faire, faites-le leur, et c'est cette
loi de tous les hommes : quod tibi
fieri non vis, alteri ne feceris. Enfin, le motif, la fin pour lesquels un homme accepte ce renoncement
au droit et sa transmission n'est rien d'autre que la sécurité de sa personne,
pour ce qui est de sa vie et des (p.
122) moyens de la préserver telle qu'il ne s'en dégoûte pas. Et c'est
pourquoi, si un homme, par des paroles, ou d'autres signes, semble se
dépouiller de la fin que visaient ces signes, on ne doit pas comprendre qu'il
voulait dire cela, ou que c'était sa volonté, mais qu'il était ignorant de la
façon dont de telles paroles et de telles actions seraient interprétées. La transmission mutuelle du droit est ce que les hommes appellent
CONTRAT. (p. 123) Si une convention est faite de telle façon qu'aucune des parties ne
s'exécute tout de suite, car chacune fait confiance à l'autre, dans l'état de
nature (qui est un état de guerre de tout homme contre homme), au [moindre]
soupçon bien fondé, cette convention est nulle. Mais si existe un pouvoir
commun institué au-dessus des deux parties, avec une force et un droit
suffisants pour les contraindre à s'exécuter, la convention n'est pas nulle. Car
celui qui s'exécute le premier n'a aucune assurance que l'autre s'exécutera
après, parce que les liens créés par les mots sont trop faibles pour brider,
chez les hommes, l'ambition, la cupidité, la colère et les autres passions,
sans la crainte de quelque pouvoir coercitif qu'il n'est pas possible de
supposer dans l'état de simple nature, où tous les hommes sont égaux, et
juges du bien-fondé de leurs propres craintes. C'est pourquoi celui qui (p. 126) s'exécute le premier ne fait
que se livrer à son ennemi, contrairement au droit, qu'il ne peut jamais
abandonner, de défendre sa vie et ses moyens de vivre. Mais parce que les conventions fondées sur la confiance mutuelle, où
il y a une crainte que l'une des parties ne s'exécute pas (comme il a été dit
au chapitre (p. 132) précédent),
sont invalides, quoique l'origine de la justice soit l'établissement de
conventions, cependant en fait, il ne peut pas y avoir d'injustice tant que
la cause d'une telle crainte ne disparaît pas, ce qui ne peut être réalisé
alors que les hommes sont dans l'état naturel de guerre. C'est pourquoi,
avant que les dénominations de juste et d'injuste puissent avoir place, il
faut qu'il y ait quelque pouvoir coercitif pour contraindre également les hommes
à exécuter leurs conventions, par la terreur de quelque châtiment plus grand
que le bénéfice qu'ils comptent tirer de la violation de la convention, et
pour rendre sûre cette propriété que les hommes acquièrent par contrat
mutuel, en compensation du droit universel qu'ils abandonnent. Un tel
pouvoir, il n'en existe aucun avant l'érection d'une République. Et
c'est ce qui ressort aussi de la définition ordinaire de la justice dans les
Écoles, car il y est dit que la justice
est une volonté constante de donner à chaque homme ce qui est sien. Et
donc, où il n'y a rien à soi, c'est-à-dire, nulle propriété, il n'y a aucune
injustice, et là où aucun pouvoir coercitif n'a été érigé, c'est-à-dire là où
il n'y a pas de République, il n'y a pas de propriété, tous les hommes ayant
droit sur toutes choses. C'est pourquoi là où il n'y a pas de République,
rien n'est injuste. Si bien que la nature de la justice consiste à
observer les conventions valides, mais la validité des conventions ne
commence qu'avec la constitution d'un pouvoir civil suffisant pour
contraindre les hommes à les observer; et c'est alors aussi que commence la
propriété. (p. 133) Les lois de nature sont immuables et éternelles, car l'injustice,
l'ingratitude, l'arrogance, l'orgueil, l'iniquité, l'acception de personnes,
et le reste, ne peuvent jamais être rendues légitimes, car il n'est jamais
possible que la guerre préserve la vie, et que la paix la détruise. (p. 146) Deuxième partie : DE LA RÉPUBLIQUE La cause finale, la fin, ou l'intention des hommes (qui aiment
naturellement la liberté et la domination [exercée] sur les autres), quand
ils établissent pour eux-mêmes cette restriction dans laquelle nous les
voyons vivre dans les Républiques, est la prévision de leur propre préservation, et, par là, d'une vie
plus satisfaisante; c'est-à-dire [qu'ils prévoient] de s'arracher de ce
misérable état de guerre qui est la conséquence nécessaire, comme il a été
montré, des passions naturelles des hommes quand n'existe aucun pouvoir
visible pour les maintenir dans la peur, et les lier, par crainte de la
punition, à l'exécution des conventions (p.
7) qu'ils ont faites, et à l'observation de ces lois de nature exposées
aux chapitres quatorze et quinze. Car les lois de nature, comme la justice,
l'équité, la modestie, la pitié, et,
en résumé, faire aux autres comme nous
voudrions qu'on nous fît, d'elles-mêmes, sans la terreur de quelque
pouvoir qui les fasse observer, sont contraires à nos passions naturelles,
qui nous portent à la partialité, à l'orgueil, à la vengeance, et à des
comportements du même type. Et les conventions, sans l'épée, ne sont que des
mots, et n'ont pas du tout de force pour mettre en sécurité un homme. C'est
pourquoi, malgré les lois de nature (que chacun a alors observées, quand il
le veut, quand il peut le faire sans danger), si aucun pouvoir n'est érigé,
ou s'il n'est pas assez fort pour [assurer] notre sécurité, chacun se
fiera - et pourra légitimement le faire - à sa propre force, à sa propre
habileté, pour se garantir contre les autres hommes. Partout où les hommes
ont vécu en petites familles, se voler l'un l'autre, se dépouiller l'un
l'autre a été un métier, et si loin d'être réputé contraire à la loi de
nature que plus grand était le butin acquis, plus grand était l'honneur, et
les hommes, en cela, n'observaient pas d'autres lois que les lois de
l'honneur; à savoir s'abstenir de cruauté, laisser aux hommes la vie sauve et
les instruments agricoles. Et les cités et les royaumes font aujourd'hui ce
que faisaient alors les petites familles, [cités et royaumes] qui ne sont que
de plus grandes familles (pour leur sécurité), qui étendent leurs
dominations, sous prétexte de danger, ou par crainte d'invasion ou de
l'assistance qui peut être donnée aux envahisseurs, et qui s'efforcent,
autant qu'ils le peuvent, d'assujettir ou d'affaiblir leurs voisins, par la
force, au grand jour, ou par des machinations secrètes, tout cela avec
justice, en raison d'un manque d'autre garantie, ce que les époques ultérieures
honoreront dans leur souvenir, à cause de cela. (p. 8) Enfin, l'accord de ces créatures est naturel, celui des hommes
provient uniquement d'une convention, qui est artificielle, et c'est
pourquoi il n'est pas étonnant que quelque chose d'autre soit requis, en
plus de la convention, pour rendre leur accord constant et durable : un
pouvoir commun pour les maintenir dans la crainte et pour diriger leurs
actions vers l'intérêt commun. La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun, qui puisse être capable
de défendre les hommes de l'invasion des étrangers, et des torts qu'ils
peuvent se faire les uns aux autres, et par là assurer leur sécurité de telle
sorte que, par leur propre industrie et par les fruits de la terre, ils
puissent se nourrir et vivre satisfaits, est de rassembler tout leur
pouvoir et toute leur force sur un seul homme, ou sur une seule assemblée
d'hommes, qui puisse réduire toutes leurs volontés, à la majorité des voix, à
une seule volonté; autant dire, désigner un homme, ou une assemblée d'hommes,
pour tenir le rôle de leur personne; et que chacun reconnaisse comme
sien (qu'il reconnaisse être l'auteur de) tout ce que celui qui ainsi tient
le rôle de sa personne fera, ou fera faire, dans ces choses qui concernent la
paix et la sécurité communes; que tous, en cela, soumettent leurs volontés
d'individu à sa volonté, et leurs jugements à son jugement. C'est plus que
consentir ou s'accorder : c'est une unité réelle de tous en une seule et même
personne, réalisée par une convention de chacun avec chacun, de telle manière
que c'est comme si chacun devait dire à chacun : J'autorise cet homme,
ou cette assemblée d'hommes, (p.
11) j'abandonne mon droit de me
gouverner à cet homme, ou à cette
assemblée, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit, et autorise
toutes ses actions de la même manière. Cela fait, la multitude ainsi unie
en une seule personne est appelée une RÉPUBLIQUE, en latin CIVITAS. C'est là
la génération de ce grand LÉVIATHAN, ou plutôt, pour parler avec plus de
déférence, de ce dieu mortel à qui
nous devons, sous le Dieu immortel,
notre paix et notre protection. Car, par cette autorité, qui lui est donnée
par chaque particulier de la République, il a l'usage d'un si grand pouvoir
et d'une si grande force rassemblés en lui que, par la terreur qu'ils
inspirent, il est à même de façonner les volontés de tous, pour la paix à
l'intérieur, et l'aide mutuelle contre les ennemis à l'extérieur. Et en lui
réside l'essence de la République qui, pour la définir, est : une personne unique, en tant que ses actes
sont les actes dont les individus d'une grande multitude, par des conventions
mutuelles passées l'un avec l'autre, se sont faits chacun l'auteur, afin
qu'elle puisse user de la force et des moyens de tous comme elle le jugera
utile pour leur paix et leur
commune protection. Et celui qui a cette personne en dépôt est appelé SOUVERAIN, et
est dit avoir le pouvoir souverain.
Tout autre individu est son SUJET. On parvient à ce pouvoir souverain de deux façons. La première est la
force naturelle : comme quand un homme parvient à faire en sorte que ses
enfants, et leurs enfants se soumettent à son gouvernement, en tant qu'il est
capable de les détruire s'ils refusent, ou quand, par la guerre, il assujettit
ses ennemis à sa volonté, leur laissant la vie à cette condition. L'autre
façon consiste en ce que, quand des hommes, entre eux, se mettent d'accord
pour se soumettre à quelque homme, ou quelque assemblée d'hommes,
volontairement, parce qu'ils leur font confiance pour les protéger de tous
les autres. On peut alors parler de République politique, ou de République
par institution, et dans le premier
cas, de (p. 12) République par acquisition. Je parlerai en premier
lieu de la République par acquisition. Mais de même que les hommes, pour parvenir à la paix et par là se
conserver eux-mêmes, ont fabriqué un homme artificiel, que nous appelons une
République, ils ont aussi fabriqué des chaînes artificielles, appelés lois civiles, qu'ils ont eux-mêmes,
par des conventions mutuelles, attachées à une extrémité aux lèvres de cet homme,
ou de cette assemblée, à qui ils ont donné le pouvoir souverain, et à l'autre
extrémité à leurs propres oreilles. Bien que ces liens, par leur propre
nature, soient fragiles, on peut néanmoins faire en sorte qu'ils tiennent,
non parce qu'il est difficile de les rompre, mais parce qu'il y a danger à
les rompre. (p. 49) Quatrième partie : DU ROYAUME DES
TÉNÈBRES Aristote et d'autres philosophes païens
définissent le bien et le mal par l'appétit des hommes, et c'est assez bien
aussi longtemps que nous les considérons gouvernés chacun par sa propre loi,
car dans la condition des hommes qui n'ont pas d'autre loi que leurs propres
appétits, il ne peut exister aucune règle des bonnes et des mauvaises
actions. Mais dans une République, cette mesure est fausse, ce n'est pas
l'appétit des particuliers, mais la loi, qui est la volonté et l'appétit de
l'État, qui est la mesure. Et pourtant cette doctrine est encore en pratique,
et les hommes jugent de la bonté ou de la méchanceté de leurs propres actions
et des actions des autres, et de celles de la République elle-même, par leurs
propres passions, et nul homme n'appelle bon ou mauvais que ce qui est ainsi
à ses propres yeux, sans aucunement tenir compte des lois publiques; à
l'exception des moines et frères qui sont tenus par voeu de donner à leur
supérieur cette obéissance absolue à laquelle tout sujet doit se penser tenu
envers son souverain civil. Et cette mesure privée du bien est non seulement
une doctrine vaine, mais aussi une doctrine pernicieuse pour l'État public. (p. 58) Et donc, c'est une autre erreur de la politique d'Aristote que de dire que dans une République bien ordonnée, ce ne sont pas les hommes, mais les lois qui doivent gouverner. Quel homme, disposant de son bon sens naturel, même s'il ne sait ni écrire ni lire, ne se jugerait pas gouverné par ceux qu'il craint et qu'il croit capables de le tuer ou de lui faire mal s'il n'obéit pas? Qui croit que la loi, c'est-à-dire des mots et des papiers, peut lui faire mal sans les bras et les épées des hommes? Cette idée est au nombre des erreurs pernicieuses, car elle induit les hommes, quand ils n'apprécient pas leurs gouvernants, à s'attacher à ceux qui les appellent tyrans, et à penser qu'il est légitime de déclencher la guerre contre eux. De plus, il arrive souvent que ces hommes soient encouragés par le clergé du haut de la chaire. (p. 60) |